Les mains dans l'argile : toi, nous et la leucémie # 32
Une nuit, alors que tu as été hospitalisé de manière
imprévue et que j’essaie de rasséréner
ton petit frère, Papa m’envoie un sms « bizarre ou l’effet du manque de
sommeil : Stanislas hurle et est difforme. »
Il est quatre heures du matin.
Tu es en unité stérile, en proie à une infection galopante.
Le médecin de nuit a prescrit de multiples antibiotiques à spectre large pour
essayer de la circonscrire.
La dose prescrite pour 24 heures a été malencontreusement
passée sur 2 heures et tu es en train de faire un choc allergique monumental,
sous les yeux impuissants de ton Papa.
Éveillé depuis presque 24 heures, il met ta
transformation progressive et ta respiration sifflante sur le compte de la
distorsion de ses sens fatigués. Puis il alerte une fois, deux fois, avant que
l’équipe soignante ne vienne te voir.
Une nouvelle procédure d’urgence est déployée. Papa m’envoie des sms, minute après minute.
C’est insupportable.
Le troisième étage est consacré à l’unité stérile. C’est
notre pire cauchemar.
Les parents qu’on y voit monter ont les yeux tournés vers
l’intérieur. Écorchés vifs, ils vivent dans un lieu d’où les enfants, parfois,
ne reviennent pas.
Les conditions d’hygiène sont drastiques, les contacts
physiques sont déconseillés, c'est un endroit où une simple caresse peut tuer.
Le
silence, hormis les puissants systèmes d’aération, est total. C’est un milieu
totalement hostile, le prix à payer, pour les greffes, peut-être, réussissent.
Pour entrer, il faut y être expressément autorisé, il faut
aussi qu’il n’y ait pas d’autre adulte présent dans ta chambre. Ensuite, il
faut passer le sas de désinfection, se changer pour passer des vêtements stériles,
mettre un masque, des socques et une charlotte. Il faut longuement se savonner
les mains. Puis être autorisés à franchir la porte suivante. C’est un lieu
fantomatique où l’on communique par cahier interposé.
Nous allons y passer de longues journées, le temps que ton état se soit stabilisé. Parfois, toi
et moi faisons des grands dessins. Nous les
collons sur la fenêtre, et le cœur battant, nous espérons qu’un malade de
l’aile d’en face nous fasse un signe.
Parfois, nous allumons la télévision et des heures durant,
blottis dans ton lit, nous regardons la chaîne Voyage. Nous traversons le bush
australien et jouons avec la grande barrière qui protège les troupeaux des
dingos. Nous suivons des pygmées dans la savane. Nous nous racontons des
histoires d’évasion et de liberté.
Je me souviens très bien de cette unité stérile. J'ai 17 ans, j'enfile une blouse, un masque, une charlotte, des sur-chaussures, je me désinfecte les mains... je passe 3 portes et je peux enfin voir ma meilleure amie à travers un épais rideau en plastique... je me souviens aussi de la ventilation bruyante. Je me souviens aussi de son sourire et de ses mots, pour me rassurer "j'ai une petite maladie ça va aller"... elle me manque encore terriblement aujourd'hui et je me rend compte qu'à 17 ans je ne prenais pas toute la mesure des traitements, des crises, des infections qu'elle a subit et je m'en veut terriblement parce que moi j'avais ma vie insouciante et jusqu'à ses 25 ans j'étais là mais pas comme j'aurai dû l'être...
RépondreSupprimerJe suis maman aussi. D'une petite malade chronique et d'un petit garçon. Pas la même histoire. Cependant, je comprend tes billets depuis mon intérieur de maman. Je n'ai pas de propos adéquat... Sache juste que je te lis et que tu ne partages pas cette douleur dans le vide.
RépondreSupprimerL'évasion, un doux remède à ces douleurs ? C'est si touchant !
RépondreSupprimerMerci... comme souvent en lisant cette chronique, je passe tout d'abord par l'angoisse ou l'inquiétude, puis souvent, bêtement, par la révolte (contre l'injustice de la vie, la remarque blessante, le manque d'attention, l'erreur médicale, peu m'importe...), et puis je continue de lire... et vous, vous poursuivez, sans vous arrêter sur la rancœur ou la révolte, et vous faites des dessins colorés dans cet espace incolore ! Et vous tentez de faire sourire les autres, ceux d'en face ! Encore une fois, toute mon admiration...
RépondreSupprimerDouces pensées
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